[http://www.lmsoft.com/] " " " " "...Cela fait plusieurs mois déjà que je suis serveuse au " Bar des Pilotes ".Je ne dirai pas que je les connais bien, mais un peu tout de même. Chaque jour, avant de partir en mission, et chaque fois qu'ils en reviennent, je les vois arriver l'un après l'autre et prendre place autour de la table qui trône au milieu de la salle . Cette table que je n'aime voir que vivante, bruyante, de leurs voix, de leurs rires, de leurs plaisanteries. Ces hommes, j'ai fini par les aimer, ils font désormais parti de ma vie. Ces hommes ce sont les pilotes. Ils me font rêver, lorsqu'ils arrivent vêtus de leur combinaison , leurs lunettes à la main et leur écharpe blanche autour du cou. Lorsqu'ils poussent la porte, je sens comme un souffle d'aventure qui entre avec chacun d'eux. En fait je ne les connais pas personnellement, mais uniquement parce que, lorsqu'ils sont autour de la table, ils parlent. Ils parlent d'eux, de leurs vies, de leurs missions, et c'est ce que je préfère. Je ne sais même pas s'ils savent que j'existe, s'ils ont conscience de ma présence. Je fais partie des meubles. Ils faut dire qu'ils n'ont pas besoin de parler pour savoir ce qu'ils désirent boire. Je le sais. Avant de décoller, de partir pour une mission, je leur sers un café bien fort, comme ils l'aiment. Il doit être bon et à leur goût, car jamais ils ne m'ont fait une réflexion. Quand ils reviennent, c'est la vodka qui coule à flot, et là, les langues se délient. J'aime ce moment, je l'attends avec impatience durant ces deux ou trois heures durant lesquelles ils volent. Je les imagine chacun dans leur avions, dans leur " zinc "comme ils disent, et j'envie ces sentiments de liberté, de satisfaction, de jouissance qu'eux seuls peuvent ressentir aux commandes de leurs machines volantes. J'aime quand ils posent leurs pieds sur le tarmac, et qu'ils avancent vers le bar,on les croirait sorti tout droit d'un rêve. Leurs pieds ne touchent pas le sol, ils volent encore, légers, emprunts d'un bonheur que visiblement seuls ceux qui volent connaissent. Un jour, au retour d'une de leur mission, j'ai entendu cette phrase qui restera à jamais gravée dans ma mémoire ; L'un d'eux s'est assis, tranquillement, il a étendu ses jambes devant lui, a tendu les bras derrière sa tête qu'il a renversée, et là, je le vois et je l'entends encore, alors qu'il fermait ses yeux en rejetant la fumée de sa cigarette anglaise, dire d'une voix qui n'attendait aucune réponse : " Le plus bel endroit sur terre, c'est le ciel ". Le silence qui a suivi cette phrase était de celui que personne n'ose rompre, car quiconque aurait osé parler, aurait à ce moment là dit une banalité. Alors, comme il m'arrive parfois de le faire lorsque je sens que l'atmosphère frôle la mélancolie, j'ai mis une pièce dans le juke box, et la musique s'est chargée du reste....Alors celui qui avait si bien parlé du ciel, s'est lentement redressé, s'est tourné vers moi, et comme s'il me voyait pour la première fois m'a sourit d'un air entendu. Je ne savais pas ce qu'il pouvait ressentir la haut, mais je l'avais compris. Lui et les autres en parlaient si bien, et avec tant de passion, qu'à la longue ils avaient réussi à me faire partager ce qui les faisait vibrer. Ils le faisaient par procuration, sans en avoir conscience. Je me gardais bien de les interrompre , trop avide que j'étais de les écouter. Et pourquoi l'aurais je fait ?Moi la serveuse, qu'est ce que j'y connaissais en " zinc " ? Rien ! J'étais au courrant de ce qu'ils faisaient, mais je n'y comprenais pas grand chose. Je me contentais de boire leurs paroles, tandis qu'eux buvaient leur vodka, revivant des moments visiblement très forts. Ma vie était désormais liée à la leur et ils ne le savaient pas. Chaque soir alors que je refermais la porte du " Bar des pilotes ", il se creusait comme un trou au fond de ma poitrine, et je n'avais qu'une envie :que la nuit passe vite, très vite, pour qu'enfin le lendemain je puisse les retrouver. J'étais comme un amoureuse qui se rend à son rendez vous, et cela chaque jour de la semaine. Ce soir là les hommes étaient tendus. Une nouvelle mission allait avoir lieu. Une mission pas facile, de semaines en semaines les choses se corsaient, s'accéléraient, et chaque nouveau vol était pour eux une source de tension, mais de jouissance aussi si celle ci s'avérait réussie. Il fallait les voir se retrouver au bar, pour comprendre l'excitation qui les habitait dans ces moments là. Ils oubliaient tout, le quotidien pour eux n'existait plus, pris qu'ils étaient dans le feu de l'action, et de la passion. Comment auraient- ils pu, ne serait ce qu'apercevoir la femme qui les regardait d'un air attendri et curieux. Attendri car on aurait pu croire que ces hommes, qui s'exprimaient avec tant de sérieux, et que le feu de la passion animait, étaient une poignée d'enfants décidant d'une stratégie pour leur nouveau jeu. Curieux, car tout ce que je glanais de leur conversation, me rapprochait d'eux. Mais je voulais plus, alors je pris une décision qui me permis de devenir une des leurs ou tout du moins qui me permis d'être encore plus près d'eux . Un soir avant qu'ils ne soit tous arrivés je demandais à l'un d'eux s'il existait des femmes pilotes, et là, sans que j'ai eu besoin de donner d'autres explications, ni de poser d'autres questions, il me dit : " Tu veux voler avec nous ? " Je crois bien que je n'ai pas répondu, mes yeux et mon sourire ont du le faire pour moi. Bien sûr que je voulais voler avec eux, j'en rêver même !Ce qu'ils vivaient, ce qu'ils me racontaient au gré des soirées, m'avaient plus que tentée, excitée serait le mot juste... " Tu sais, ajouta t-il, on a aussi besoin d'une infirmière, tu pourrais peut-être, lorsque tu ne voles pas être à la fois notre barmaid et notre infirmière ! " Je rêvais !J'allais passer les trois quarts de mon temps à leurs côtés. Je pensais qu'ils ignoraient jusqu'à mon existence et voilà qu'ils étaient tous d 'accord pour que je fasse partie de leurs vies !Connaître les bons et les mauvais moments, être utile. Grâce à eux j'allais exister. Alors à corps et à coeur perdus, je me jetais dans l'aventure .Je ne devins jamais une véritable infirmière . Plus que d'une professionnelle du bistouri, ce dont ils avaient besoin c'était une présence, féminine en l'occurrence, quelqu'un qui soigne les petits bobos du corps et les gros bobos du coeur, quelqu'un qui les dorlote, qui les choie. Quant au vol c'est dans le ciel et à leurs cotés que j'en apprenais le plus, lentement mais très consciencieusement , car je ne voulais surtout pas devenir un poids, je tentais d'apprendre les rudiments du pilotage. Mes débuts furent laborieux, je connaissais quelques termes techniques, entendus çà et là au cours de leurs conversations, mais je ne savais pas toujours à quoi ils correspondaient, se rapportaient. J'appris peu à peu à reconnaître certains avions, leurs particularités au décollage, en vol et à l'atterrissage, et j'en fit aussi les frais. A les entendre il me paraissait presque facile de piloter un avion, mais je du me rendre à l'évidence :ce n'était pas si simple de voler. Des doutes m'assaillirent, la crainte de n'être qu'un fardeau m'empêcha plus d'une fois de dormir. Aujourd'hui encore il m'arrive de me demander si ma place auprès d'eux n'est pas seulement derrière le bar ou à l'infirmerie... Les conseils avisés de certains d'entre eux, le réconfort qu'ils m'apportaient m'aidaient dans ma progression ,alors, pour leur montrer qu'ils n'avaient pas eu tort de m'intégrer à leur grande famille, je m'accrochais, je persévérais, même si parfois c'était difficile, je voulais mériter ma place, sans faveur particulière . Je suis une femme , je l'assume, j'en suis fière ,j'aime la déférence qu'ils portent à notre différence, mais avant tout j'aime cette ambiance de "partage " C'est ainsi que je devins la première femme pilote de leur escadrille, et leur " infirmière privée " Certains venaient pour un rien ,un ongle cassé, des doigts soit-disant coincés dans la verrière de leur avions !Des broutilles, car fort heureusement aucun d'eux n'a jamais eu de blessures graves. C'est peut-être leur coeur que je soignais. J'étais à la fois leur soeur, leur mère, leur compagne . En fait j'avais parfois plus l'impression de soigner leurs bleus à l'âme que leurs bleus au corps. Mais j'aimais ça ! Et puis il s'est passé ce que tout le monde sait...Des départs, des retours, des larmes de joie, des larmes de tristesse, des espoirs, et beaucoup de désillusions, je n'ai pas pu rester au milieu de se conflit. Ici s'arrêtera ce journal, s'il doit y en avoir un autre ce sera ailleurs..... " " " " " 22 Mars 1950 Ces deux pages sont les deux seules que j'ai gardée de mon journal, celui que j'ai écrit avant...avant que je ne me décide à partir pour Kawaï...Je n'emporte rien d'autre que ces deux pages et... mon flacon de parfum, cela peut paraître bien futile, mais il est fait pour cette île ! Une autre vie m'attend là-bas, je prends l'avion ce soir, je m'envole pour Kawaï, seule dans le zinc que j'ai réussi à me dégotter. Il pourra m 'être utile si je veux trouver du boulot là-bas. En attendant le temps presse , et je suis de plus en plus anxieuse à l'idée de cette " grande traversée ", de ce que je vais découvrir au delà de tout ce bleu....Il est 21h 15, j'y vais...
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Le jour de mon Brevet